Un programme pour la Biologie théorique, par René THOM, médaille Fields, préface à Faut-il brûler Darwin, L'Harmattan 1995

Publié le par Costag

Un programme pour la Biologie théorique

 

René Thom : Préface

 à Faut-il brûler Darwin ou l’imposture darwinienne,

J.C, L’Harmattan, Collection Conversciences, 1995,

 

Trompettes de la Renommée, Brassens nous l’a chanté sur sa guitare, vous êtes bien mal embouchées. Ceci ne concerne pas seulement le monde du spectacle. C’est vrai aussi du monde de la célébrité scientifique. Il ne faut pas s’étonner si quelques esprits lucides, sûrs d’eux-mêmes, vont tenter de réparer les injustices de la postérité. 

S’agissant de Darwin, on sait les hauteurs himalayesques dont sa gloire a joui. Que le Dr JC se soit attaqué à ce monument, on ne peut qu’admirer son audace et le féliciter d’apporter au chœur massif des trompettes darwiniennes un bémol spécifiquement adapté. C’est là certainement faire œuvre utile, d’autant plus que sa critique joue à un niveau qu’on voit rarement dans la littérature antidarwinienne. Il s’agit d’une lecture textuelle, littérale de l’Origine des espèces, livre étudié page à page, quasiment ligne à ligne. 

On ne pourra reprocher à notre auteur s’avoir fait preuve de la moindre clémence vis-à-vis dun « Newton de la biologie ». Son livre est un réquisitoire sans faille de l’Origine des espèces… Si bien que le lecteur se demandera ce qui, finalement,  explique la gloire de Darwin. Au fond un certain vague, un certain flou de l’expression a pu incliner à l’indulgence. Si l’auteur se contredit, faisant suivre l’opinion A de l’opinion B contraire, alors si A est « catastrophique », il y a de forte chance que B soit, sinon vraie, du moins acceptable. C’est peut-être là une des clés du succès du darwinisme.

C’est une théorie qu’il est difficile de taxer de fausseté, tant elle est inconsistante. Son succès s’explique par des circonstances socio-historiques, l’abandon du créationnisme encore prédominant dans les esprits vers 1850. D’ailleurs un créationnisme « libéral », détaché de la Lettre des Écritures, serait parfaitement compatible avec l’Évolution.

L’Évolution n’est pas autre chose que la continuité temporelle de la matière vivante, et on peut seulement discuter de la présence ou de l’absence de ces grandes singularités que seraient l’apparition et l’extinction des espèces.

 

Ce qu’il faut déplorer dans le darwinisme, c’est l’impact désastreux qu’il a eu sur la pensée spéculative en Biologie. Alors que le siècle précédent 1750-1850 avait vu les esprits s’éveiller, les théories prospérer, les tenants de « l’Anatomie transcendante » développer l’idée de bauplan, et placer l’idée d’homologie (Owen) au centre des classifications zoologiques, le darwinisme a prétendu expliquer la variation des formes biologiques, alors qu’il ne s’est jamais préoccupé de les définir.

Plus tard, une alliance malsaine s’est constituée entre darwinisme et positivisme, encore actuellement très solide. Ce n’est pas un hasard si le darwinisme dont la vacuité théorique, vers 1900, avait fini par transparaître au sein du monde biologique, s’est trouvé sociologiquement restauré par la génétique mathématique : par l’École des Fischer et Sewell Wright. Il a fallu presqu’un siècle (jusqu’à Lewontin et Kimura) pour qu’on se rende compte du caractère factice de ces prétendues preuves.

Toute théorie de l’hérédité requiert d’abord un instrument de comparaison morphologique entre parent et descendant. Il ne faut pas se contenter de l’ADN, il faut analyser les formes vivantes. De ce point de vue, j’affirmerais que si le darwinisme contient une substance scientifique, c’est seulement dans l’opposition Gradualisme vs Catastrophisme » qu’on la trouve.

Chez les darwiniens d’aujourd’hui, le gradualisme est un dogme. Certes on cite quelques tenants des discontinuités (éventuellement majeures) Goldsmith, père du «hopeful monster», Schindewolf. Dans la littérature contemporaine, le problème ne cesse pas d’être discuté (Cf par exemple S.J. Gould. J’aimerais présenter ici mon point de vue sur cette question. Ma thèse est que le problème a une réponse formellement nécessaire : D’un point de vue qualitatif, tout changement est nécessairement discontinu. Du point de vue quantitatif, la thèse gradualiste est plausible.

Sur cette dernière assertion les orthodoxes triomphent. N’est-il pas vrai que, pour le scientifique contemporain, toute différence est quantitative ? Presque tous, imbus de la propagande, non désintéressée, de l’industrie informatique, en sont restés à la maxime de Rutherford : Quantitaive is nothing but poor quantitative. Que ne reviennent-ils à la Biologie d’Aristote : là, l’anatomie d’un animal résulte de sa décomposition en parties phénoménologiquement homogènes, les homéomères, à laquelle on rajoute ces connexions d’origine fonctionnelle, les anhoméomères. On ferait bien de prendre au sérieux cette idée de l’équivalence phénoménologique de deux milieux pour l’être vivant.

Il faut réintroduire la qualité, qui est substantiellement différente de la quantité. Considérons le couple des deux premiers entiers naturels : un deux. Tout esprit non prévenu ne manquera pas de dire que la différence entre un et deux et quantitative. Ce n’est pas faux puisque deux égale un + un ; mais si l’on permute les deux nombres, il sera difficile de dire que (1,2) est strictement identique à (2,1). Dans le couple (p,q) q hérite de sa position de second une qualité particulière qui complémente la qualité « premier » de p et ces deux qualités sont qualitativement différentes. Je me permettrai de rappeler que la définition classique de l’organisation biologique se disait en latin situs partium.

Chez Aristote, on trouve susthma twn moriwn, le système des parties. De cela rapprochons la Topologie de Leibnitz, baptisée par lui Analysis situs. Ce fut le grand mérite de d’Arcy Thompson (traducteur de l’Historia animalium d’introduire l’équivalence par le genre définie comme équivalence topologique des deux anatomies. Je ne vois pas comment on peut comparer deux organismes sans introduire un algorithme de nature topologique. Au lieu de cela, maintenant, on va analyser une quantité effroyable de molécules d’ADN, dont il faudra conserver l’ordre des nucléotides dans un halle de longueur appropriée. Il est d’ailleurs remarquable qu’en chimie organique récente, on en revient à adopter des classifications quasi-morphologiques des molécules comme les chélates et les cryptates…

Dans la description d’une structure vivante, on ne peut pas faire abstraction des positions relatives de ses sous-structures. La mort, en un certain sens, est la disparition de la stabilité de cette information positionnelle. L’espace (le R3 de notre géométrie euclidienne) est le grand absent de la Biologie moderne, il faudra le réintroduire autrement que par ses seules coordonnées euclidiennes (ou comme cadre des configurations de molécules en petit nombre). 

 

Ici se pose le problème des structures intermédiaires, organites, cytosquelette, membranes… Là, on ne pourra progresser qu’en classifiant les milieux qualitativement, un peu comme on classifie les phases en thermodynamique (mais sans introduire le passage à la limite boltzmanien : le milieu vivant n’est pas infini). Il faudra essayer des techniques d’homogénéisation comme celle qu’on emploie en mécanique des matériaux. Enfin il faudrait topologiser le métabolisme, réduire sa complexité à un système fini de régimes, d’attracteurs qu’on puisse manipuler. C’est là certainement un vaste programme, mais on peut toujours rêver.

Finalement, on construira pour le temps ontogénétique de l’individu et pour le temps phylogénétique, des diagrammes décrivant la morphologie des organsimes.

On peut, en effet à tout le moins, symboliser l’embryologie d’un organisme comme un grand graphe dont les arêtes symbolisent les types cellulaires (chaque type cellulaire définit un clone dont le graphe représentatif est un arbre. On peut, au moins théoriquement, faire une construction analogue pour la phylogenèse. Les discontinuités temporelles de ce graphe seront autant de transformations évolutives. L’apparition  d’un nouveau type cellulaire sera une discontinuité quantitative, même si elle n’implique qu’un clone très maigre.

On voit donc qu’il peut y avoir des discontinuités dans l’évolution qui ne mènent pas nécessairement à la scission d’une spéciation. Seules des discontinuités impliquant les attracteurs fondamentaux affectant la reproduction pourront conduire à la spéciation. Le gradualisme quantitatif y exprime seulement le fait, assez évident, qu’on ne voit pas une mère engendrer un enfant plus gros qu’elle. Je crois aussi qu’on ne peut exclure des « catastrophes » affectant ces attracteurs hypothétiques du métabolisme ; dans le cas des extinctions leur existence ne fait pas de doute.

 

J’ai usé, peut-être abusé de l’occasion, que m’offrait la préface, pour présenter ici quelques idées qui mes sont chères ; on pourra en tout cas y voir un type de pensée fondamentalement non darwinien. Décrire avant d’agir est un principe trop oublié de la Biologie, où l’impact de la clinique (humaine) pèse d’un poids trop lourd sur le recherche au détriment d’une pensée abstraite et désintéressée. 

René Thom, médaille Fields

 

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F
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> La théorie des catastrophes; je la trouve révolutionnaire dans le sens qu'elle est applicable aux systèmes biologiques plus spécifiquement au cerveau humain et animal.<br /> <br /> <br /> En plus elle s'applique très bien aux jeux de loteries, plus spécifiquement aux tirages de la 649.<br /> <br /> <br /> Enfin sa plus grande force, est pour moi, son application à l'étude de la bible. Elle éliminera tous les fameux calculs numériques simplistes qu'on ne cesse pas de nous présenter pour des<br /> annonces catastrophiques bibliques.<br /> <br /> <br /> (fermaton.over-blog.com)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> La seule difficulté que j'ai eu a surmonter à votre théorie. c'est comme je vous l'ai indiqué antérieurement, c'est de bâtir un pont qui unit les catastrophes élémentaires.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Clovis simard<br /> <br /> <br /> <br />
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